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Érosion du segment de côte Bénin-Togo : L’urgence de sauvegarder 23 km du littoral béninois

Au même titre que les autres pays côtiers de l’Afrique de l’ouest, le Bénin et le Togo subissent de plein fouet les effets négatifs de la montée des eaux due au réchauffement climatique. Cette situation est accentuée par des ouvrages anthropiques érigés par le passé dans les deux États. Face aux risques importants de voir le Bénin perdre sa façade maritime avec ses conséquences socio-économiques, l’urgence d’installer des infrastructures de protection s’impose. À l’initiative bénino-togolaise de collaborer pour lutter contre l’érosion côtière, le Projet d’investissement WACA financé par la Banque Mondiale apporte un important appui à travers le financement de la réalisation de différents travaux.

Hillacondji, un arrondissement de la commune côtière de Grand-Popo. Il est 10 h 30 mn, ce jeudi 22 octobre 2020. Nous sommes sur la plage située dans le zone de « no man’s land » à quelques mètres de la borne frontière n°2 (IGN) entre le Bénin et le Togo. De part et d’autre de cet indicateur frontalier, deux détachements de policiers déployés respectivement par les deux pays veillent au grain.

En pleine mer on peut déjà apercevoir quelques pêcheurs affairés sur leur pirogue. Sur la plage, d’autres pêcheurs réparent leurs filets après plusieurs jours passés en mer, à un jet de pierre des pâtés de maisons en matériaux précaires. Les ménages sont déjà bien animés. Entre cris des enfants et les appels, les riverains vont d’une concession à l’autre sans aucun égard pour la borne frontière. « Nous ne faisons pas attention à cette frontière. Nous sommes tous les mêmes et on se connaît bien », confie Hlondji Séraphin. Pour ce pêcheur, c’est la terre de leurs ancêtres et ces derniers ne faisaient pas de distinction entre les territoires. « Nous n’avons aucune difficulté par rapport à cela », soutient-il. Pour lui, le seul problème que les riverains ont « c’est l’avancée de la mer ».

Une mer qui avance à grands pas

Selon plusieurs études, le Bénin perd chaque année une partie de son territoire à cause de l’érosion côtière. « La vitesse d’érosion sur le segment de côte Hillacondji – Grand-Popo oscille entre 15 et 22 mètres par an», souligne le docteur Moussa Bio Djara, Géomorphologue, Expert en Aménagement des Espaces Littoraux, Spécialiste Technique Littoral du Projet WACA – Unité de Gestion des Projets (UIGP). Ainsi, le Bénin et les riverains de cette partie du territoire ont dû céder année après année de la terre à la mer. François Dagboé est conscient du phénomène même s’il l’a très peu vécu à cause de son jeune âge. « Mon père m’a dit que l’école primaire qu’il a fréquentée se situait à plusieurs kilomètres dans la mer », confie le jeune homme de 25 ans. Une situation qui devient préoccupante pour les habitants de la zone et pour les autorités béninoises et togolaises.

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L’accélération de l’érosion côtière sur la partie béninoise du segment de côte transfrontalier Bénin-Togo, qui compromet l’intégrité du territoire béninois n’est pas dû qu’à la montée des eaux marins. Elle vient aussi des travaux de construction d’une série d’épis en 1986 puis réhabilitée en 2012 pour la protection de la ville d’Aného à l’est du Togo.

De graves enjeux pour le Bénin

Pour les spécialistes, la langue de terre qui part de Grand-Popo à la borne frontière et étendue sur une longueur de 23 km et une largeur moyenne de 2 km entre la ligne de côte jusqu’au chenal de Gbaga est fortement menacée de disparition. « Si rien n’est fait, d’ici 5 décennies, malheureusement le Bénin va perdre sa façade maritime parce que l’océan va rattraper le chenal de Gbaga », confie le docteur Moussa Bio Djara.

Généralement désigné par le « Pied du Bénin », cette zone est pourtant d’un intérêt capital pour le Bénin. « La préservation de cette façade maritime à l’ouest du pays est d’une importance géopolitique, géostratégique et géoéconomique », explique le docteur Djara. Pour le géomorphologue, le recul du trait de côte qui en résulte perturbe les activités socio-économiques des communautés côtières, détruit les habitations et réduit le potentiel de développement de ces zones. « De nombreuses personnes ont déjà été déplacées et d’importants biens d’équipement en termes de routes, de bâtiments et des villages ont été engloutis par l’océan », souligne-t-il.

Par ailleurs, avec la disparition de cette façade maritime du Bénin, la ligne de tracée des eaux territoriales changera, prévient l’expert. « Le Togo qui se retrouve au nord du chenal Gbaga aura désormais la façade maritime. En conséquence, les eaux territoriales qui appartiennent aujourd’hui au Bénin seront perdues au profit du Togo, selon la convention de Montego-bay explique-t-il. La perte de ce segment transfrontalier aura également pour conséquence la modification de la carte et une réduction de 125 km à 102 km de la longueur de la côte béninoise.

Face à ces importants enjeux, le Bénin et le Togo, également touché par l’érosion côtière, ont mis en place un Comité Mixte Bénin-Togo pour la gestion concertée de la portion transfrontalière du littoral. Une initiative qui bénéficie depuis 2018 de l’accompagnement financier et technique de la Banque Mondiale à travers le Projet WACA.

L’important accompagnement du Projet WACA

Pour limiter les impacts négatifs de l’érosion côtière sur le littoral, le Bénin et le Togo signent un mémorandum d’accord et de partenariat (septembre 2018 et septembre 2020) afin de collaborer sur la gestion de cette portion menacée. Dans ce cadre, ils bénéficient à l’instar de 4 autres pays du littoral ouest africain de l’appui du Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA) financé par le Groupe de la Banque Mondiale. De façon globale, le projet d’investissement, de Résilience des Zones Côtières en Afrique de l’Ouest (WACA-ResiP) dans sa mise en œuvre prévoit d’accompagner cette initiative pour la protection côtière sur la zone transfrontalière entre le Bénin et le Togo. Cet accompagnement consiste surtout en un appui au dialogue entre les deux États, notamment à travers le fonctionnement du Comité mixte Togo-Bénin, à la définition et à l’accord conjoint sur les options les plus adaptées, et à la mise en œuvre conjointe des solutions retenues. Selon un communiqué de presse de la Banque Mondiale publié le 9 avril 2018, « Ce projet contribuera à réduire les inondations en restaurant les lagunes et les systèmes de drainage et en améliorant la gestion des bassins versants ».

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Concrètement, il s’agira d’accompagner l’initiative de protection côtière sur la zone transfrontalière entre les deux pays pour un linéaire de 60 km environ, soit le segment de côte Gbodjomè (Togo) à Grand-Popo (Bénin).

Conformément à leur accord, le Bénin conduira d’une part les études de faisabilité technique et d’autre part la réalisation des travaux de protection côtière sur le segment transfrontalier concerné. Quant au Togo, il s’occupera, en dehors des études de faisabilité technique, de la réalisation des travaux sur le Chenal de Gbaga. Au niveau de ce plan d’eau, il sera fait un curage mécanique, la restauration et le reboisement des berges afin de le rendre plus navigable. « L’avantage du curage mécanique, c’est que le chenal de Gbaga aura plus de profondeur. Ce qui facilitera l’écoulement normal de ses eaux avec pour conséquence une atténuation des inondations au niveau de la commune de Grand-Popo et alentours », souligne docteur Bio Djara.

Une bonne avancée

La mise en œuvre du projet est déjà bien avancée. En effet, au regard de l’envergure des infrastructures à réaliser, l’équipe de projet a commandité des études de faisabilité technique et d’impact environnemental et social. La fin de ces études a permis de disposer des rapports d’Avant-Projet Sommaire (APS), d’Avant-Projet détaillé (APD) et de dossier d’appel d’offre International (DAOI).

Ces différentes études préalables ont aussi permis de retenir la construction de 50 épis courts sur le segment de côte du Togo et 40 épis courts et un rechargement massif de 6 400 000 m3 de sédiment en aval immédiat du Pk 14 dans le secteur d’Aného au Bénin. « D’ici fin 2021, si les aléas climatiques nous en laissent la possibilité, nous allons marcher sur 150 à 200 mètres sur l’océan parce que nous allons gagner de l’espace sur la mer », rassure le spécialiste technique littoral du Projet WACA.

Jesdias LIKPETE

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